Ce sont avant tout, des espaces de liberté et de conscience.
La liberté est un désir souvent ambivalent car elle effraye autant qu’elle attire. George Bernard Show disait : La liberté implique la responsabilité, c’est pourquoi la plupart des hommes la redoutent.
Le meilleur exemple étant probablement cet écrit ! Ecrire n’engage à rien, c’est l’envoi qui pose un acte. L’acte de s’avancer d’un pas en avant, de s’exposer. Je ne suis pas hors cadre car c’est un acte posé qui a émergé d’une longue introspection et que j’envoie à tous et à chacun dans la même version et dont le dialogue se fera en supervision, car il faut que la lettre ait une adresse… Mais je m’expose, à la critique, à la moquerie, à la colère, au remerciement, à la gratitude, à être lue autrement que ce que j’aurais voulu donc aux malentendus, à l’indifférence etc. Je m’expose aux réactions des autres en fonction de ce qu’ils sont, ce qu’ils vivent, comme ils peuvent, là où ils sont. Nous avons, en nous, différents espaces : émotionnels, intellectuels et psychiques. Je peux parler à partir de mon intellect et être reçu par la colère de l’autre, parler à partir de ma colère mais être reçu par la bienveillance et la compréhension de l’autre, parler à partir de ma joie et être reçu dans un espace épidermique d’agacement. Je peux avoir un élan de vie mais qui réveille les peurs et les insécurités de l’autre. L’un peu parler à partir d’une partie saine de lui-même mais être entendu par la partie névrotique de l’autre, et inversement. En Inde, il est difficile d’attacher un éléphant. Il peut déraciner l’arbre avec sa trompe, arracher le mur en reculant. Alors les dresseurs prennent l’éléphanteau quand il est tout petit. Ils l’attachent solidement à un arbre avec une corde très solide. L’éléphanteau passe des heures à tenter de se dégager puis renonce. Mais quand il renonce, il renonce pour toujours. Puis, adulte, il suffira de l’attacher à un arbre, même frêle, avec une simple cordelette. Ce renoncement nous habite pour tellement de choses, la cordelette intérieure est si mince mais tellement présente.
Ainsi nous nous recevons, nous interprétons aussi. Notre critique interne, l’intériorisation de la critique, créé en nous un juge sévère qui redoute une parole projetée chez l’autre alors qu’elle nous appartient. La créativité trouve ses limites dans la façon dont nous revendiquons une liberté que nous habillons nous-mêmes de la camisole du doute, de la critique et de la suspicion. Notre légitimité souffre avant tout de notre propre regard. Il y a actuellement de plus en plus de professionnels sur internet qui expliquent, racontent, exposent. Avez-vous remarqué comment la mise en scène de ces exposés est souvent ritualisée ? Ils parlent devant une bibliothèque, très souvent, et pour légitimer le propos ils sont « certifiés », ou diplômés… Enfant la transmission est faite par la mère, le grand-père, la baby-sitter, l’histoire du soir qu’ils racontent n’est pas interrogée par une légitimité externe Autre. Mais chez les adultes que nous sommes cette question de la légitimité de la parole n’est pas démocratique, libre, portée dans son élan de création. Pour qu’elle le devienne, il faut retrouver la confiance, l’idée que la légitimité vient d’abord de soi et que la censure… aussi. A titre d’information, le psy est celui qui normalement, par contrat, reçoit toujours là où il est compréhensif et bienveillant. C’est pour cela qu’il facture, ni pour des conseils, ni pour des solutions, ni pour prendre votre vie en mains à votre place mais pour réussir la prouesse de vous entendre toujours et sincèrement avec sa bienveillance et son non-jugement total en tenant seul son propre cadre ce qui est un art autant qu’un métier. Cela a pour objet de permettre enfin de renouer avec la confiance, l’espace possible du pas en avant, dans ce drôle de jeu de mots, de permettre un pas en avant là où était la page blanche, le doute, le pas.
C’est pourquoi ces espaces demandent un cadre fort. Un cadre contenant. Celui qui s’avance à besoin d’être protégé. Chacun pourra nommer ce qui se réveille mais en se l’appropriant comme étant son fonctionnement. Et celui qui vous accompagne est là uniquement pour tenir ce cadre, ce qu’il fait en plus, libre à lui, mais tenir le cadre est à la base, sa seule fonction. Au demeurant s’il l’exerce bien, le groupe fini par être régulé et tourne sans lui un certain temps.
Ensuite la liberté est un espace complexe car c’est un espace vide et aérien. Non fléché, non dirigé. Pas de kit d’utilisation, de consommation, de prêt à l’emploi. Hors nous avons très rarement ce genre d’endroit. Dans mon cabinet, régulièrement des gens me signalent qu’ils n’ont pas osé m’appeler, m’écrire, me déranger, enlever leurs chaussures pour se libérer les pieds, venir avec un sandwich ou avec un quart d’heure de retard parce qu’ils prenaient leur temps en marchant. Or nous définissons que c’est un espace de liberté avec un cadre stricte et qu’en dehors du cadre ils ont toute liberté de s’approprier l’espace… Mais … Nous sommes, je crois, beaucoup plus conditionnés que nous ne l’imaginons. Beaucoup de personnes ne sont plus libres chez elles parce qu’elles s’empêchent de faire tout un tas de choses devant leur conjoint, amis, parents, au travail et même devant l’inconnu dans la rue, enfin même seul, face aux critiques intériorisées, la page blanche est souvent un effet miroir de nos peurs. Elles ne sont pas vraiment chez elles car le regard d’un autre ou ce que l’on suppose être sa volonté réduit l’espace. L’espace offert en supervision, en analyse de la pratique ou en groupe de parole offre le même paradoxe. Il n’y a plus d’emploi du temps, de chef de service, de commandements, de contraintes, d’obligations et souvent cela ouvre sur un vide, habité des peurs de chacun d’être, d’habiter librement l’espace et se l’approprier. Parfois des personnes disent en fin de voyage qu’elles regrettent que nous n’ayons pas fait escale à tel ou tel endroit, mais quelle est cette force qui empêche de le proposer ? Ces peurs sont des réflexes commun à tous, l’accompagnant passe beaucoup de temps à bien faire comprendre le cadre pour que chacun puisse se détendre, il ne sera ni jugé, ni convoqué plus tard sur ce qu’il a dit ou fait, puis de le tenir. Dans ce climat, et seulement dans ce cadre fort, toutes les explorations sont possibles sans trop de danger. Il n’y a pas de garantie. Mais c’est un espace merveilleux si l’on tente l’aventure de la créativité, de s’exposer, d’oser l’erreur, le tâtonnement, les interrogations, l’ouverture, de passer d’une relation verticale de doute à une relation horizontale de partage. C’est alors le poumon d’une institution et l’écologie des personnes.
Il y a plusieurs niveaux de conscience. Le fait de ne pas savoir du tout ce qui nous arrive (c’est le cas pour l’angoisse, les réflexes, les réactions, tout ce que nous appelons la tête dans le guidon), et donc de n’avoir aucune prise, le fait de se voir faire mais de ne pas pouvoir véritablement choisir (comme certains moments dans les addictions, comme se voir faire de se mettre en colère et même de se dire : je sais que je vais le regretter ! En le faisant) , le fait de sentir que l’on pose des actes justes, conformes à ce que nous souhaitons.
Cet espace permet de comprendre pourquoi nous agissons comme nous le faisons en nous regardant faire à posteriori et en suivant doucement les motivations, conscientes ou non, qui nous ont poussé à agir. Développer sa conscience c’est devenir plus libre de soi-même, de ces croyances qui nous limitent, de ces jugements destructeurs, de ces peurs qui nous font agir tout autrement que ce que nous voudrions vraiment. C’est faire le constat qu’il y a des actes que nous ne posons pas parce que nous sommes convaincus qu’ils échoueraient or que nous pouvons les penser, les anticiper, sortir de nos peurs et les tenter. Enfin la conscience, quand nous le pouvons, c’est de comprendre comment fondamentalement ce que nous vivons dépend de nous. Que nous sommes responsables de ce que nous vivons. Cette conscience là est parfois trop lointaine pour l’envisager au départ du chemin.
J’entends qu’il y a des moments de découragement. Que certain jours, chacun de nous se sent plus proche d’une toute petite chose à consoler et que le « praticien réflexif », dans ces cas là, c’est un concept intellectuel presque absurde, vide de sens. Je le sais aussi par mon souvenir personnel. Je l’ai entendu récemment si fort ! Je me suis retrouvée avec une équipe, il y a peu de temps, qui ne voulait plus. Qui ne voulait rien. Et surtout pas « avancer », mettre en travail. Qui voulait tout lâcher. Alors, c’est un espace pour pouvoir le dire, l’expérimenter, le vivre sans masque. Pour trouver du réconfort, de la solidarité, de la compréhension. Ça ne change pas les choses, tout reste à faire, mais ça fait du bien, ça humanise, ça détend, ça évite de se rendre malade et de somatiser. Ce n’est pas encore la prise de conscience mais ça y contribue car au centre la douleur, rien de bon ne vient jamais et nous avons parfois besoin d’être accompagné pour la déposer et faire un pas de côté.
C’est un espace qui permet d’accepter ses fragilités, ses failles. D’assumer plus tranquillement ses erreurs ou de comprendre ce qui les provoque.
Qui permet d’appréhender que la culpabilité est une construction intellectuelle qui vient d’injonctions intérieures et que nous pouvons lui répondre et la faire taire.
Qui permet d’apprendre à faire des demandes en dépassant ses croyances. On peut demander de l’aide, de la clémence, des attitudes différentes aux autres. Avec une capacité d’anticipation que l’espace de l’autre qui le reçoit dépend aussi de l’espace qui l’a demandé.
Qui permet de passer des accords d’équipe sur les prises en charge pour être plus synchronisés et en harmonie.
Qui permet de mieux comprendre les personnalités, surtout paradoxales ou à l’envers, quand le doute se dit en agressivité ou la peur en tristesse.
Qui permet d’entendre ce que les résidents ont à dire en écoutant finement les symptômes qui sont un langage.
Qui permet de se retrouver ailleurs que dans l’institution pour respirer, rire, pleurer ensemble, être touchés, dénouer des conflits.
Qui permet d’échanger de idées et d’en avoir plus, de libérer de la créativité.
Qui permet d’exposer et d’échanger des savoirs et le vécu personnel associé dans une université libre d’échanges réciproques.
Qui permet de se plaindre puis de vouloir sortir de la plainte en devenant force de proposition.
Qui permet de libérer le stress.
Qui permet de demander des informations ou des moments de formations pour répondre à des manques.
Qui permet d’accepter parfois les choses telles qu’elles sont parce que ça rend libre.
Qui permet parfois de donner le courage de ne pas les accepter parce que c’est plus juste.
Qui permet de ne pas se sentir seul ou démuni.
Qui permet d’oser être soi.
Bien entendu tout cela en plus de l’espace du praticien réflexif, ce chercheur sur lui-même qui veut comprendre ses actes et les poser comme des choix, qui développe sa capacité de distanciation, de discernement, de conscience, et qui fait sa recherche à partir de son propre vécu et de ses mots à lui, a son rythme et avec son style.
Bref, aider peut tarir.
Nous nous devons des oasis, des respirations, des émotions, de l’humanité pour retrouver force, courage et désirs.
L’oasis d’énergie, de bonne volonté, de générosité qui s’offre quand on choisi la voie du social peut se désertifier. Ces espaces que je vous propose sont les espaces verts. Ils permettent un retour à la source vive.
C’est un espace qui n’est pas offert.
Ce qui est offert ce sont les conditions maximales pour le faire, c’est cela que je propose. Et je m’investie avec implication personnelle et présence à moi-même pour que cet espace soit bon.
Il faut le créer. Et quand les membres de l’équipe sont trop faibles pour le faire, je veux bien l’entendre et me faire accueil, chaleur, douceur et patience.
Qu’est-ce qu’un espace d’analyse de la pratique professionnelle ou de supervision ?